I had to lose my way;
« Run cried the crawling; »
Doucement, d'une poigne d'expert, elle laisse mourir les graines de la fleur-de-Lumière contre son mortier, en récupérant la poudre semblable à la poudre de fée pour sa nouvelle expérience alchimique. De sa bouche s'extirpent de douces notes, réminiscences de Solaistír, des salles de Bal et des mascarades fredonnées, son esprit s'ornant des couleurs chatoyantes de son monde natal, des odeurs sucrées du buffet, de l'atmosphère et des rires des invités.
Elle goute à nouveau leurs lèvres et leurs sourires contre les siens alors que ses doigts frottent contre son pouce, y laissant retomber la poussière au creux du chaudron bouillant doucement, se changeant d'une couleur bleuâtre par la racine mise précédemment, reprenant une teinte invisible.
L'alchimiste lève un sourcil, intriguée.
Les fredonnements s'arrêtent alors qu'elle observe la réaction, reposant une mèche rebelle derrière son oreille. Cette plante avait des effets bien plus étranges qu'elle ne l'aurait pensé auparavant. Si l'antidote s'en voulait un offrant à son buveur la capacité de retirer de son organisme un poison bien précis, il semblait avoir gagné une capacité étrange d'invisibilité.
Il faudrait qu'elle expérimente plus en détail.
Aisling laisse sur son visage se former une imperceptible grimace avant de se retourner vers une étagère, en ressortant une fiole contenant des herbes d'un rouge foncé avant de retourner vers son chaudron. Avant d'y reposer son regard, cependant, une douce lumière attire son attention, dehors.
Oh. Oh
non.Son cœur se serre douloureusement dans sa poitrine, ses yeux écarquillés fixant intensément la fenêtre, la brume et les ombres diffuses dansant au loin. C'est une présence qu'elle ne reconnait pas qui s'approche, une présence furtive déambulant vers elle.
Et une seule pensée tambourine à ce moment son esprit trouble, mantra incessant contre ses tempes, frissons désagréables contre son échine :
Il l'a retrouvée.Non. Non, c'est impossible, pas après toutes les précautions qu'elle a mises en place, pas après toutes ces années à se cacher. C'est impossible. Ils ne peuvent pas être de retour.
Mais la pensée reste et s'infiltre dans ses veines alors que son regard se pose sur le chaudron, sur les volutes qui montent de celui-ci, son visage imperceptible dans le liquide translucide. S'ils l'ont retrouvée, il n'y a pas une seule seconde à perdre.
Elle ne peut pas mourir, pas maintenant.
Et alors qu'elle ressent sa Brume s'illuminer doucement sous cette présence étrangère, Aisling s'empare d'une dague et d'une fiole contenant un ultime poison qu'elle positionne sur sa ceinture avant d'esquisser quelques pas de danse, disparaitre entre les arbres : il lui faudra l'analyser afin de le prendre par surprise, le leurrer pour l'effrayer, cacher ses ombres pour mieux épier les siennes, être vive et furtive pour l'anéantir avant qu'il n'ait la chance de s'enfuir.
Mais l'apparition s'offrant à elle la laisse momentanément perplexe. Cette silhouette n'a rien de celle d'un guerrier. Peut-être n'aurait-elle pas besoin de mettre fin à sa vie, malgré la lumière ardente qui semble s'émaner d'elle – ce n'est pas le temps de penser à ça. Elle n'oserait jamais faire du mal à un enfant.
Et alors que celle-ci franchit le pas de sa porte, qu'elle est à sa portée, Aisling regagne d'une nouvelle valse sa demeure et ses ombres,
attendant patiemment que sa curiosité la gagne; que la demeure supposément inhabitée de la Dame de Brume laisse entrer son âme chez elle, ne serait-ce que pour le confort de retrouver un toit pour s'abriter.
Elle l'épie de ses ombres, sondant ses mouvements et ses mimiques, sondant son regard hésitant, cette détermination brillant dans ses prunelles. Jeune, elle pénétrait sa demeure à pas feutrés, ses yeux se posant sur chacune des facettes de celle-ci avec la plus grande des stupéfactions. Elle ne s'attendait certainement pas à voir une adolescente au pas de sa porte. Aisling était alors certaine d'une chose : là n'était pas un ennemi et encore moins un aventurier à la recherche de la si mystérieuse Dame de Brume.
Tout en elle arborait les couleurs d'un monde qui lui était encore inconnu.
Alors que faisait-elle ici?
Oh; elle n'oserait aucunement laisser ces questions sans réponse.
Elle la laisse s'avancer de plus belle vers le centre de la pièce, contourner la table, épier les étagères. Parfait.
Subtiles, ses ombres se matérialisent, métamorphose subreptice de la lueur des chandelles sur le mur opposé à la jeune intruse. Rythmée, théâtrale, son buste se relève et un sourire prend forme sur ses lèvres. Elle est là, derrière elle, et surement ses ombres se sont-elles manifestées sur les murs devant, car elle aurait pu sentir les muscles des épaules de son
invitée se tendre, au moment où elle avance à pas rythmés, laissant de ses lèvres s'extirper une réplique amusée.
▬ Eh bien, qu'avons-nous là? Elle aurait pu se délecter du changement soudain d'atmosphère, de cette soudaine pression qui venait de se manifester, du sentiment inéluctable de peur qui s'immisçait doucement dans les veines de cette âme encore bien innocente. Son sourire s'accentue quand son visage percute le sien, les chandelles mouvant en éclats orangés contre ses yeux opalescents.
▬ Il n'est pas prudent d'entrer ainsi chez les inconnus, jeune fille.